lundi 12 janvier 2009

Mémé enlevée

Le 20 décembre j'ai appelé mon fils Barnabé pour lui dire que ma chaudière était en panne. C'est lui qui s'occupe généralement de l'entretien de mon appartement. Malheureusement je n'avais pas imaginé qu'il pourrait se servir de l'information pour m'imposer de passer les fêtes chez lui. Et c'est pourtant ce qu'il a fait.

Le 21, alors que Dédé me faisait tâter ses biscottos sous les draps, on a frappé à la porte trois coups brefs. J'ai feint une surdité temporaire mais Dédé a bondi hors du lit. Je me suis étonnée de sa prestance à haute voix et il a fanfaronné encore un peu. Puis il a arraché le drap blanc, faisant chuter quelques chats au passage, et s'est élancé dans le couloir avec l'allure d'un empereur romain décrépi. Sa toge de fortune soulignait son ventre de femme enceinte, s'écartait sur son entrejambe velue et laissait la moitié de son dos à l'air. Ses pas se sont éloignés et je n'avais même pas entendu les essieux de la porte d'entrée grincer quand, de nouveau près de moi, il a chuchoté au creux de mon cou C'est ton fils Bernard.
Barnabé, pas Bernard
, j'ai répondu, mais qu'est-ce que tu en as fait ?
Ben je lui ai dit d'attendre dehors pendant que je finissais de conter fleurette à ma pépé
e, a rétorqué Dédé en se tapant sur la poitrine. Il a sauté sur le lit et Coco a râlé. J'ai filé de l'autre côté. Dédé a essayé de me retenir mais je me suis échappée en courant. Une petite voix au fond de moi imaginait le spectacle que je devais offrir, une petite vieille nue dans ses chairs tremblotantes, la peau zébrée par le temps. Mais je m'en moquais. Je me suis enfermée dans la salle de bains et Dédé a entonné une sérénade à genoux derrière la porte.

Enfin, vêtue de ma petite robe en laine noire et de mes gros collants, débarbouillée et coiffée je suis allée ouvrir à mon fils. Il était assis sur une marche d'escalier. Il a refermé son téléphone portable et s'est levé, un peu nerveux à mon goût, Bonjour Maman, il a dit sans un mot de reproche. Dans mon dos, Dédé a surgi, mal drapé dans ma literie. Il a posé une main de propriétaire sur mon ventre et il a fallu que je le pousse pour qu'il laisse Barnabé entrer jusque dans le salon.

Maman
, mon fils a dit, j'ai pensé que ce serait bien que tu passes Noël à la maison. Il y fera plus chaud qu'ici et je pourrai te présenter ma fiancée.
Que savez-vous des températures qu'il fait ici ? Dédé a demandé, égrillard. Dédé ! j'ai protesté, laisse nous parler !
Dédé nous a alors tourné le dos pour aller s'habiller. Il avait adopté un pas militaire et chantonnait en imitant un son de trompette. Ses fesses à l'air, battues par un coin de drap, tremblotaient à chaque pas mais je les ai trouvées charmantes. Je me suis dépéchée d'ôter le sourire béat qui gagnait ma bouche afin de continuer la conversation avec Barnabé. Quelle fiancée ? j'ai dit. Ne te moque pas Maman, a fait Barnabé, cette fois c'est sérieux.
Oui mais, j'ai tenté, il y a les chats.
J'ai trouvé quelqu'un pour passer les journées avec eux,
il a répondu.
Je veux voir Dédé pendant les fêtes, j'ai chuchoté alors, comme une collégienne.
Au fait, Pépée, a beuglé Dédé de la chambre, je vais chez ma fille à Noël.
Il est entré dans la pièce. Alors t'empêche pas de faire quoi que ce soit pour moi, hein, il a murmuré en me regardant dans les yeux.

Barnabé a eu un sourire mauvais. Une heure plus tard il m'embarquait. Auparavant, nous étions allés porter les clefs à la voisine du cinquième, la mère célibataire. Elle portait un peignoir de soie avec des escarpins. Je m'occuperai bien de vos petits minous, soyez sans crainte, elle a susurré en dévorant Barnabé des yeux. Il lui a tendu une enveloppe et nous sommes entrés dans l'ascenseur. Dédé descendait à pieds. Il nous a salués d'un signe de la main et il s'est de nouveau concentré sur les marches.