dimanche 26 octobre 2008

La fête de Mémé et Dédé

De costume, Dédé n'avait pas, bien sûr. Aussi suis-je rentrée dans la chambre de feu mon mari pour tenter de lui dénicher une tenue correcte. Le problème est que si Tatave, dont je suis la veuve, avait la carrure d'un joueur de golf, Dédé a plutôt celle d'un boxeur en fin de carrière. Et je ne parle pas de sa bedaine qui passerait sans peine pour celle d'une parturiente avant la perte des eaux.

Je commençais à désespérer lorsque j'ai aperçu la chemise de nuit de Tatave : blanche, ornée de boutons en écaille, décorée de motifs géométriques, elle serait parfaite accompagnée d'une cravate. J'ai aussitôt poussé Dédé dans la baignoire pendant que je cherchais le reste. Mais aucun pantalon de Tatave n'arrivait à la moitié du tour de taille de celui, maculé et nauséabond, que Dédé avait laissé devant la porte de la salle de bains. Il n'y a qu'une solution, me suis-je dit et je suis descendue sonner à la porte du cinquième droit. La mère célibataire m'a ouvert la porte si vite que je reste persuadée qu'elle attendait derrière. Mon amour, a-t-elle crié avant de réaliser que c'était moi, tu as changé d'avis pour les lasagnes ? Vous avez un sèche-linge je crois ? j'ai répondu.

La pauvre petite en a presque pleuré de déception. C'est que j'attends quelqu'un, elle a bredouillé. Il ne viendra pas nigaude, j'ai répondu, alors lavez-moi ce pantalon, voulez-vous ? C'est pressé ! Elle a saisi les vieilles nippes de Dédé à pleines mains et elle a enfoui son visage dedans, apparemment inconsciente de l'odeur qui s'en dégageait. Je ne comprends pas , elle a reniflé, hier il m'a juré...

Je lui ai repris le pantalon de Dédé et je suis allée dans la salle de bain. Au dessus de sa baignoire, une sirène replète émergeait d'un coquillage couleur tripe. Une étoile de mer dissimulait les aréoles de sa poitrine difforme. Déjà, il faudrait changer la déco, j'ai dit pour passer le temps, à mon avis il en serait malade. Vous croyez ? elle a demandé, blême. Et puis oubliez les leçons de votre arrière grand-mère, on ne retient pas un homme comme lui avec des lasagnes, vous avez un gosse, c'est bien suffisant comme handicap ! Vous croyez ? elle a répété. Enervée je me suis tue. J'ai introduit le pantalon dans la machine et j'ai tourné les boutons au hasard après avoir vidé le bidon de lessive dans le bac dévolu à cet effet. Machinalement, elle a rectifié la programmation puis elle m'a suivie dans le salon où elle a bu au goulot une gorgée de porto. Je n'ai pas refusé la bouteille qu'elle me tendait. Racontez-moi tout, j'ai grogné pour être polie. Ce qu'elle s'est empressée de faire. J'ai cru que j'allais y passer la soirée !

Évidemment le don juan du quatrième avait obtenu de copuler juste après le départ de son fils chez ses parents. L'animal avait une stratégie bien rodée et des promesses de vendeur d'encyclopédies. Juste après avoir fait sa petite affaire, il s'était rhabillé et il avait détalé sans demander son reste. Battez lui froid, j'ai conseillé, ne lui tenez plus la porte de l'ascenseur, portez des résilles, invitez des hommes chez vous... Et surtout, changez la déco, ai-je dit en allant retirer le pantalon de Dédé, propre et sec, de sa machine. Saoule, sur son canapé rose elle a bégayé Vous croyez ? une dernière fois. J'ai refermé doucement la porte de son appartement en partant.

Chez moi, Dédé s'était endormi dans mon peignoir de mémé, affalé sur mon lit. Je l'ai secoué J'ai trouvé de quoi te saper, je lui ai dit. Allez, lève-toi, Dédé ! Mais il m'a attrapée par la main et il a murmuré Et si on jeunait ce soir ?

Alors, de mes jambes délicatement striées de bleu, de mes genoux gourds, de mes cuisses décharnées, de mes fesses flagadas, de mon ventre évidé comme un sac de marchandise, pendant au-dessus de mon sexe quasi chauve, de mes seins modestes, de mes épaules voutées, de mon visage flétri comme un vieux fruit, Dédé a fait un brasier. Un vrai feu de joie. Mille fois j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter, ou que le vieux allait se dégonfler. Il passait sa langue dans les trous laissés par mes dents manquantes et cela me rendait folle. Mes pensées ne se fixaient sur rien mais, survenaient d'étranges réminiscences du devoir conjugal avec Octave, ses gestes précautionneux, sa moue écœurée, son haleine de malade. Avec lui, je me sentais comme une chose obscure et molle, un grotesque édredon de chair. Dans les bras de Dédé, au contraire, il m'a semblé posséder une beauté que je ne connaissais pas, une ardeur toute neuve.

Plus tard dans la nuit, tandis que je nous préparait une petite collation, il a enfilé son pantalon propre et ses hardes habituelles, raidies par la crasse. Tu ne vas pas partir maintenant, il fait nuit, j'ai dit bêtement. Si, il y a le marché demain. On ne sait pas ce que je pourrais récupérer. Il faut que je me tienne prêt. J'ai pensé à la voisine du cinquième droite et je n'ai rien ajouté. Dédé m'a embrassée sur le front ; il m'a pincée la joue et il a ajouté : Tu sais que t'es une sacrée coquine toi ? Allez, t'inquiète, je reviendrai !

A mon âge, endurer ça...

9 commentaires:

Catherine a dit…

Mémé, j'en suis sans voix. Trop contente pour vous et votre nuit... je reviendrai plus tard, là j'ai comme des vapeurs, des émotions...

Catherine a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Catherine a dit…

Mémé, je vous ai mise en lien chez moi. C'est pas pour le nombre de lecteurs que ça vous apportera mais pour vous dire que plus je vous lis, plus je vous aime.

Anonyme a dit…

Bin ça !
Ce que c'est beau... J'adore vous lire aussi.

Anonyme a dit…

Ah, c'est donc ça, le raffut qui m'a empêché de dormir jusqu'à pas d'heures ? La prochaine fois, c'est les flics, j'vous préviens, espèce de succube quasi centenaire !

Anonyme a dit…

Gamine, ça va, pas de quoi vous rendre malade tout de même !(Et je ne sais absolument pas de quoi vous parlez avec vos cordes...)

Philomène, jeune fille, je souffre et ça vous fait plaisir, c'est ça ? Bon et bien je saurai m'en accomoder...

Pépé, j'espère que vous sentez le pipi d'animal et non le vôtre car les vieux malpropres, j'ai horreur de ça !

Anonyme a dit…

dis donc mémé, tu te complais sacrément dans les détails cracras.. Je pense que les autres sont des hypocrites, c'est loin d'être ragoutant ce que tu racontes. Quant à Dédé, tu devrais me l'envoyer, je lui tirerais les oreilles à ta place. Oui, juste les oreilles, t'inquiètes...

Mémé a dit…

Stéphanie, à votre âge j'avais des couettes et je restais polie avec les vieux ! Prenez en de la graine gamine !

Anonyme a dit…

Quel message d espoir pour toutes les femmes ! l amour nous rend belles ! Merci Mémé