mercredi 24 septembre 2008

Le complot des voisins

Aujourd'hui je n'ai pas bougé de mon appartement.
Deux chats sur les jambes, un sur le ventre, un autre autour du cou et le reste à se disputer mes caresses, je n'ai pas vu le temps passer. Il faut dire que je découvre les joies d'internet et que je me régale. Ce que je préfère : laisser des commentaires moqueurs chez les propriétaires de chiens. Oui, je sais, ce n'est pas bien mais il faut bien que vieillesse se passe et j'ai toujours trouvé les chiens stupides.
Ce n'est pas à mon âge que je vais changer d'avis.

Je somnolais paisiblement, vers sept heures du soir, lorsqu'un curieux remue-ménage s'est fait entendre dans l'immeuble, d'habitude, d'un ennui mortel. Des portes s'ouvraient, se refermaient. J'entendais des remerciements, le ton montait, la conversation devenait passionnée, se terminait par une effusion de résolutions.
A moitié sourde hélas, je ne suis parvenue à comprendre que quelques détails ; ils m'ont, néanmoins, permis de deviner à moitié ce qui se passait :

-"Nuisance olfactive, a clamé, pédante, l'étudiante en droit du troisième.
- Malpolie en plus, a pleurniché la veuve au caniche du cinquième gauche.
- Il y en a combien ? a susurré le don juan du quatrième.
- Oh, à mon avis une bonne cinquantaine ! a répondu la mère célibataire du cinquième droit, qui en pince pour lui."

Elle est trop empressée. Quelle idiote ! Si elle lui avait répondu Vous exagérez, Nestor, il y en a deux, à peine, il serait tombé à genoux devant elle. Enfin, façon de parler car à mon avis, il a déjà de l'arthrose dans les genoux.

Bref, j'ai compris que l'on parlait de moi et de mes mistigris. Je commençais à avoir des courbatures, l'oreille vissée contre la porte aussi ai-je ouvert. J'ai descendu un étage et je me suis assise sur les marches pour écouter la suite de la conversation.

"Le syndic m'a dit que si tout l'immeuble signait la pétition, alors peut-être qu'ils pourraient faire quelque chose.
- Au moins l'obliger à faire le ménage.
- Si elle est trop âgée pour se débrouiller, il faut la mettre en maison de retraite. Vous en avez parlé à ses enfants ?
- Oui, sa fille est d'accord mais elle dit qu'elle ne veut pas forcer sa mère.
- Il y a des cas pourtant où l'on a pas le choix. Vous imaginez, si elle oubliait d'éteindre le gaz ?"

C'était un feu d'artifice de fadaises malveillantes. Je me suis levée et j'ai descendu un étage supplémentaire. Je suis arrivée au milieu de mes voisins les plus proches. Ils se sont tus immédiatement et j'ai bêlé en branlant du chef :

"Dites vous pourriez pas arrêter vos nuisances sonores, s'il vous plait messieurs dames ? Parce que mes chats ils arrivent pas à dormir."

Alors que chacun s'en retournait, tête basse, dans son appartement, j'ai alpagué la veuve au caniche :

"Vous n'auriez pas dix euros Madame, je n'ai pas mangé aujourd'hui ?"

Les autres, par solidarité avec elle m'ont chacun donné un billet.

Demain, je fais livrer les boîtes de pâtées pour chat !

lundi 22 septembre 2008

La nuit avec Dédé

De son chariot de supermarché, il a extrait :
- un couffin de bébé
- une vieille machine à coudre à l'aiguille cassée
- une planche à repasser avec des tâches de brûlé
- un pull taille 40 qui sera parfait comme cadeau de Noël pour ma fille
- des chaussettes sales
- une petite cuillère
- et des sacs de plastique, des tessons de bouteilles, des canettes vides, une clef, des cents au métal noirci.

J'ai saisi le couffin qui sera parfait pour Coco, le pull, les chaussettes sales (ça peut toujours servir). J'ai dû argumenter pour jeter ce qui me semblait dangereux, y compris la petite cuillère qui avait sans doute servi à liquéfier quelque drogue. Dédé n'aime pas se séparer des choses qu'il a trouvées. Mine de rien, je lui ai glissé un billet propre et quelques euros. Ça lui a coupé la chique. Ah ! a-t-il soufflé d'une lippe nostalgique, les euros ça fait des heureux ! Il a recouvert ses trouvailles de morceaux de carton et nous nous sommes assis avec force simagrées, appuyé l'un contre l'autre tel deux soldats revenant du champ de bataille. Nos fesses ont heurté brutalement le bitume et j'ai râpé le mur avec ma bosse. C'est dur de vieillir, j'ai dit, bon sang ! Oh que oui, il a répondu, essoufflé.

Alors nous avons exécuté notre rituel, minutieusement : évocation, tremblements, colère. Un homme avec un petit chien, du genre caniche minuscule avec les poils raides et une trogne aplatie, a cru assister à une querelle d'ivrognes. Il a passé son chemin sans demander son reste, son animal frustré sous le bras. Il avait à peine disparu dans la rue Lamarck que Dédé s'est mis à sangloter. Je lui ai collé la bouteille de rouge entre les lèvres et je l'ai accompagné de mes gémissements et de mes larmes. C'est toujours de cette façon que les choses se terminent entre nous. Finalement, nous nous sommes endormis affalés l'un contre l'autre, soulagés, requinqués par l'évocation de feux nos époux. La bouteille vide a valdingué sur les pavés.

A l'aube, nous dormions. C'est l'arroseuse qui nous a réveillés.

dimanche 21 septembre 2008

Les trésors de Dédé

Je vais aller me coucher. Comme mes chats, lorsque le sommeil ne vient pas, aux heures où la bienséance le voudrait, je vis la nuit. Il ne me reste sans doute pas plus de vingt ou trente ans à vivre, rien ne sert de languir dans mon lit alors que je suis encore en pleine forme. J'ai donc chaussé mes bottes de pluie - on ne sait jamais - caché ma chemise de nuit sous le vieux manteau que j'ai dû récupérer dans la poubelle au moins trois fois après des visites de Céleste, et je suis sortie. Les rues étaient vides, calmes, quel quartier ennuyeux ai-je maugréé ! J'ai dû héler trois taxis avant que le quatrième n'accepte de me prendre en charge. Avant il avait fallu que je lui montre les deux billets de vingt euros que je serrais dans ma paume. Malgré mon allure, le chauffeur ne s'attendait pas à l'odeur et il a ouvert les fenêtres en grand dès que j'ai eu refermé la porte derrière moi. J'ai protesté, invoqué mon grand âge, il n'a rien voulu savoir et nous sommes allés jusqu'à Montmartre les cheveux au vent. L'idée que le peu qu'il me reste de chevelure s'envole définitivement m'a fait sourire un instant. A l'arrivée je lui ai fait comprendre que mes billets étaient sans doute eux aussi imprégnés de l'urine de chat qui avait imbibé mon pardessus. Il a donc démarré sur les chapeaux de roues sans se faire payer.

Dédé, comme prévu, dormait sous un tas de cartons au pied du Sacré-Cœur. Je me suis assise à côté de lui et j'ai soufflé sur mes mains pour les réchauffer. Je n'ai jamais compris pourquoi il s'obstinait à venir ici alors que les courants d'air rendaient l'endroit invivable. Lorsque j'ai tenté de desserrer ses doigts de la bouteille de rouge, il s'est réveillé. Sans surprise il s'est assis à mes côtés et il m'a tendu la boisson. Ouch, ça réchauffe, j'ai dit en guise de remerciement. Puis j'ai aidé Dédé à déballer ses trouvailles de la journée. Il avait plusieurs choses pour moi.

samedi 20 septembre 2008

La visite de Céleste

Ce matin, j'allais enfin m'installer devant l'ordinateur que Dédé m'a apporté lorsque Céleste est arrivée. J'ai dû planquer le matériel sous mon lit et, à cause de mes rhumatismes, cela a pris un certain temps. Comme d'habitude, le visage perclus de trous, avec une espèce d'os miniature sous le nez et une dent de requin qui lui traverse le sourcil droit, Céleste affichait un sourire crispé. Pourquoi as-tu mis si longtemps à ouvrir, a-t-elle demandé, je commençais à m'inquiéter ! Si au moins tu me donnais un trousseau de clefs ce serait plus pratique. J'ai feint de ressentir une douleur fulgurante dans le dos et elle n'a pas insisté. Bousculant Rossinante, Loulou et Renart, elle est allée remplir le frigo. Evidemment, elle n'avait rien pris pour les chats. Reniflant, elle a dit : Il n'y en a pas un de plus ? J'ai posé mon tricot poussiéreux sur les genoux, et, très lentement, j'ai enroulé le fil qui dépassait sur la pelote : Tu crois que j'aurais le temps de terminer le pyjama avant la naissance du bébé ? Quelques secondes durant, elle a eu l'air stupéfait. Puis, elle a gémi : Tu ne vas pas recommencer avec ça, tu sais bien qu'Albert ne veut pas d'enfant ! Oh, j'ai répondu, tu es toujours avec lui ? Je ne sais pas comment tu fais ! Elle a soufflé un baiser formel dans ma direction et elle est partie en refermant la porte un peu fort. A travers mes rideaux en dentelle, je l'ai regardée rejoindre son fiancé sur son scooter.